En 2020, à l’occasion des 18 ans d’une de mes filleules, Élisabeth, je lui avais proposé de venir nous rejoindre quelques semaines en Amérique du Sud. Ce qu’elle avait accepté avec entrain.

Après quelques changements de dates, il a été décidé qu’elle nous rejoindrait ce 13 juin 2022 (après la fin de ses examens) et, après quelques changements d’itinéraire, il s’est avéré que ce serait en Équateur.

Bref, tout était prêt pour bien l’accueillir ici. Nous quittions Cuenca le 12 au soir, en bus de nuit, pour arriver à Quito le lendemain matin. Nous aurions bien le temps d’aller se poser à l’hôtel avant d’aller la chercher à 14h40 à l’aéroport.

Ainsi commença la nuit en bus, après avoir souhaité bon vol à Élisabeth : nous n’aurions plus de contact avec elle avant le lendemain vers 14h, puisqu’elle serait en vol au-dessus de l’Atlantique et d’une bonne partie d’Amérique du Sud. De notre côté, on se préparait donc à la nuit en bus, toujours pénible : on ne dort pas bien du tout. Et puis on a déjà eu des bus dont l’aération était en panne : nous étions morts de chaud, en journée ; et une autre fois, nous étions morts de froid la nuit au point que de la glace (pas juste du givre) se formait à l’intérieur des vitres du bus ! Mais non, ici, tout se passait bien. Le seul inconvénient était le film qui passait à l’écran, avec beaucoup de bruit. Mais les trois filles se sont quand même endormies assez vite.

Vers minuit et demie, le bus s’est arrêté. « Normal, me dis-je en regardant dehors, nous sommes dans une station service ». Mais c’était quand même étonnant qu’autant de gens descendent du bus. Et puis l’arrêt se prolongeait bizarrement. Beaucoup de gens parlaient et rigolaient. Il se passait quelque chose. Steph, n’y tenant plus, est descendue voir ce qui se passait. Elle est revenue en me disant que la route était bloquée par des manifestants un peu plus loin. Des manifestants, à cette heure-ci ? On finira bien par passer, non ?

Mais les premières rumeurs ne présageaient rien de bon. En fait, tous les passagers – équatoriens – savaient bien ce que c’était. Ce n’était pas juste des manifestants. Non, c’était le début d’un mouvement social annoncé par la CONAIE, la confédération des nations indigènes d’Équateur. Nous, on n’était pas au courant ; eux, ils le savaient bien – ils espéraient juste que le bus passerait avant les premiers blocages (raté !). Et il se trouve que ce mouvement social était prévu pour durer : ils nous ont dit que, en 2019, le blocage avait duré deux semaines.

Deux semaines !? Mais c’est impensable ! Nous avons Élisabeth à aller chercher, dans moins de quatorze heures à Quito ! Panique. Que fait-on ? Nous sommes dans la petite ville de Chunchi, à 137km de Cuenca. Il en reste encore 340 à parcourir pour arriver à Quito. Certains pensent qu’on peut essayer de passer en proposant aux manifestants de payer 1 dollar par personne. Qui est d’accord ? Tout le monde ? OK, on y va. Mais le chauffeur ne veut pas. Les manifestants peuvent causer des dommages aux véhicules. Il ne veut pas non plus retourner à Cuenca : ce n’est pas son boulot et il y aurait aussi des barrages derrière nous maintenant. D’autres (dont le chauffeur) pensent qu’on passera dans la journée : l’armée viendra ouvrir les barrages. .

Bon, à 1h30 du matin, on décide que, de toute façon, on ne sait rien décider maintenant. Les filles – bienheureuses – dorment sans se douter de rien : on ne va pas les réveiller car on ne sait pas ce que la journée de demain nous réservera. On ne tente rien pendant la nuit ; essayons de nous reposer jusqu’au petit matin. De mon côté, impossible de fermer l’œil et j’envisage tous les scénarios possibles pour récupérer Élisabeth, la pauvre, qui dans son avion ne se doute encore de rien. On cherche déjà quelqu’un qui pourra aller la chercher à notre place : une amie de Gauthier qui a une ferme pas loin de Quito et dont nous avons le contact mais qu’on ne connait pas ? On contacte Maria, une amie de la famille qui est équatorienne ? On demande à Sarah, qui nous a donné plein de contacts en Amérique du Sud mais pas (encore) en Équateur car ce pays n’était pas prévu à la base ? On demande à l’hôtel réservé à Quito d’aller la chercher et de l’installer confortablement chez eux les quelques jours qu’il nous faudra pour rejoindre Quito ? Oui mais les routes entre Quito et son aéroport sont sans doute fermées aussi ! Que faire ?

Vers 7h30 du matin, Lucie se réveille : « On est arrivés ? Pourquoi le bus ne bouge pas ? » On explique aux filles ce qui se passe. Lucie fond en larmes car elle s’inquiète pour Élisabeth : personne ne serait là pour l’accueillir alors qu’elle est seule, sans argent, sans savoir parler espagnol… En même temps, les gens commencent à bouger de plus en plus. La plupart d’entre eux sortent du bus. Certains partent à pied. D’autres essayent en vain de convaincre le chauffeur de retourner vers Cuenca. Les passagers s’organisent : un groupe whatsapp est créé pour tenir tout le monde informé de quand le bus partirait. En attendant, libre à chacun d’aller prendre un desayuno (petit déjeuner) dans la petite ville de Chunchi, qui s’éveille remplie de monde dans sa rue principale. Derrière nous, il y a en effet une demi-douzaine de bus et des camionnettes qui attendent comme nous. Que fait-on ? On reste et on attend que ça se dégage ? Il y a un hôtel ici, pas plus. Mais combien de temps attendrons-nous ? Élisabeth nous attendra dans à peine 6h sans savoir ce qui lui arrive…

Plusieurs Équatoriens nous proposent de l’aide (c’est une constante dans ce pays). Certains nous proposent de se joindre à eux : ils vont tenter d’aller vers Quito. Le plan est de prendre des petites camionnettes ou taxi jusqu’au barrage, traverser le barrage à pied, et une fois de l’autre côté, trouver un autre moyen de transport jusqu’au barrage suivant. Parce que oui, apparemment, il y aurait beaucoup de barrages. On parle d’une dizaine entre ici et Quito. Sans doute moins vers Cuenca.

Après le petit déjeuner, d’autres Équatoriens nous suggèrent l’inverse : il serait plus facile de retourner à Cuenca car il y aurait moins de barrages dans cette direction, voire peut-être même aucun durant la matinée ! Le chauffeur du bus, quant à lui, semble ne pas s’inquiéter. Il restera là en attendant que ça ouvre. Note : six jours plus tard, à l’heure où j’écris ces lignes, il y est toujours.

Sur base des nombreuses informations, parfois contradictoires (y compris ceux qui nous conseillent surtout de ne pas bouger car les indigènes sont fâchés et parfois dangereux), nous prenons une décision : nous retournons à Cuenca et de là, nous devrons prendre un avion dès que possible vers Quito pour rejoindre Élisabeth. Cela nous semble la seule option et surtout celle qui nous permet de rejoindre ma filleule le plus vite possible. Peu importe le prix. Dans le meilleur des cas – c’est-à-dire sans aucun barrage et avec le premier avion – nous arriverions déjà 7h après Élisabeth à Quito ! Et elle arrivera là-bas sans nous voir à l’arrivée, alors qu’elle ne parle pas espagnol… Aura-t-on un moyen de communiquer avec elle ?

Allons-y ! Première chose à faire, trouver un moyen de transport jusqu’au premier barrage. Après, on avisera. Les camionetas (les pickups) sont toutes déjà prises. Prenons un taxi. On négocie de le payer jusqu’au prochain barrage. Si jamais on passe jusqu’à Cuenca, le prix sera de 70€, c’est-à-dire quasiment le prix du bus de nuit jusqu’à Quito ! Pas le choix, on doit se dépêcher.

Dans le taxi, pendant que Steph et les enfants se poussent à l’arrière avec armes et bagages, j’engage une conversation Signal avec Alex (qui est notre point de contact pour le suivi précis de nos déplacements) et Nathalie (la maman d’Élisabeth). Maintenant que nous avons pris une décision, il est temps de les prévenir et d’organiser tout au mieux. S’en suivent de nombreux échanges pour envisager tous les scénarios. D’abord, il faut qu’Élisabeth soit au courant en descendant de l’avion. On lui envoie donc des SMS pour lui dire de se connecter à un wifi le plus vite possible. Il faut aussi trouver des vols, tous horriblement chers. Il faut ensuite envisager de prendre un hôtel à l’aéroport de Quito car il y aurait des barrages entre l’aéroport et le centre-ville… Tous les scénarios sont rapidement envisagés. Élisabeth, qui fait partie du groupe de discussion mais n’est pas encore connectée, recevra une septentaine de messages en arrivant à Quito !

Pendant ce temps-là, nous avançons vers Cuenca. Et, heureusement, aucun barrage ! En fait, les barrages de la nuit ont été levés. Apparemment, les barrages ne sont, heureusement pour nous, pas bien synchronisés : des groupes viennent bloquer la route et puis rentrent chez eux sans se soucier de la relève, qui arrive à un autre moment et parfois ailleurs. De plus, on apprend aussi que, généralement, les barrages commencent à midi : la matinée, les gens travaillent (il faut bien vivre), l’après-midi, ils bloquent les routes. Bon à savoir. Sur le chemin, notre chauffeur de taxi apprend que des barrages se sont reformés derrière nous : lui, il ne pourra pas rentrer jusque Chunchi, en tout cas pas aujourd’hui. Il prévoit de laisser son taxi au premier barrage et de continuer à pied.

Quoiqu’il en soit, nous arrivons à Cuenca en fin de matinée. Nous achetons nos tickets d’avion et… commençons l’attente car notre vol est à 20h15. Heureusement vers 14h40, Élisabeth reçoit ses messages en débarquant de l’avion et est prévenue de notre absence. Grâce à toutes les discussions, elle est rapidement au courant de ce qui se passe et, de son côté, commence aussi une longue attente après sa très courte nuit et ses 12h de vol. De notre côté, on continue de vérifier en temps réel si les routes de l’aéroport sont bloquées ou non. Sur base du peu d’info que nous avons, nous décidons d’essayer de rejoindre Quito et nous réservons déjà un taxi, via l’hôtel. En cas de blocage, nous serons mieux au centre qu’à l’aéroport, nous semble-t-il.

Finalement, après une très longue journée, aussi bien pour Élisabeth que pour nous, nous nous sommes retrouvés à l’aéroport de Quito. Et sous le regard du chauffeur de taxi de l’hôtel et son panneau personnalisé, c’est Lucie la première qui a couru vers Élisabeth ! La suite s’est aussi très bien déroulée : pas de blocage sur la route vers le centre, heureusement, car nous avions tous bien besoin de sommeil !

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