Quand on pense à la jungle, on pense plutôt à… des grosses araignées, des avancées à la machette dans une végétation luxuriante, des animaux improbables, Tarzan qui se pend à des lianes, des oiseaux multicolores, des caïmans, des marsupilamis faisant leur nid, des pluies torrentielles alternant avec une chaleur étouffante, des sources d’eau chaude, des sables mouvants, des insectes à n’en plus finir, des indigènes qui vivent sans contact avec la civilisation, des longues pirogues filant sur des fleuves immenses…
Hé bien vous avez raison. C’est exactement ça que nous avons vécu pendant quatre jours dans la jungle du Parque del Manu. Bon, sauf pour les marsupilamis 🙂
Remettons un peu le contexte…
Le Parque del Manu est une réserve naturelle classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Elle fait plus de 17.000km², soit plus de la moitié de la Belgique. La plus grosse partie est interdite d’accès car y vivent les no contact people, les indigènes qui refusent le contact avec le reste du monde. Ils sont cinq tribus d’environ 500 personnes, sans plus de précisions, puisqu’on n’a pas de contact avec eux. Sur le bord de ce parc, il y a une zone tampon, qui, elle, est accessible et constitue un condensé de faune et de flore incroyable. C’est, paraît-il, une des plus riches et belles parties de la forêt amazonienne.
Et c’est là, précisément, que nous sommes allés. Ça claque, hein ? Bon, ça fera encore un petit coup dans le budget, car la seule manière d’y aller facilement c’est de prendre un « tour » tout compris. Mais on voulait voir la jungle, la selva ! Rétrospectivement, d’ailleurs, nous sommes très contents de ce petit écart dans le budget. Concrètement, nous sommes partis dans un minibus « servicio turistico » avec trois autres touristes, une espagnole (Paola) et deux américains (Michael et Sarah), ainsi qu’un guide (Marco), une cuisinière (Guillermina) et un chauffeur. Ouep, tout ça !
Jeudi
C’était jeudi matin très tôt (« encore une fois ?! » dixit les enfants, surtout Éline) mais il fallait bien ça, car pour atteindre l’entrée de la réserve, il y a déjà 5h de route. Oui, Cuzco est considéré comme un point touristique central et le point de départ de plein d’excursions, dont le Parque del Manu. C’est un peu comme si Bruxelles servait de point de départ pour visiter Francfort ou Cherbourg… Nous n’avons décidément pas les mêmes distances ! Mais soit. Le trajet fût difficile, comme d’habitude, d’autant plus qu’Éline a été bien malade (sans doute avait-elle mangé quelque chose de mauvais la veille).
Une fois entrés dans la réserve, rassurez-vous, il y a encore quelques heures de route. Concrètement, à l’entrée (3900m d’altitude), nous avons vu la différence de paysage entre la Sierra, montagneuse et sèche, d’où on venait, et là où on allait : la Selva, à la végétation foisonnante. Après le mot d’introduction du guide près du panneau d’entrée, nous sommes remontés en camionnette et avons commencé la descente dans le parc, en scrutant tous les recoins pour essayer de trouver nos premiers animaux. Après une bonne heure de route, nous avons fait une pause surprenante : on nous sort des petits sièges et table pliante de la camionnette, et ainsi, sur la piste du parc, on se fait servir à table (avec nappe !) un excellent chaufa de pollo (l’équivalent d’une salade de riz à la péruvienne) !
Après cela, nous avons commencé à marcher sur la piste, afin de mieux voir les oiseaux et autres animaux. La camionnette, elle, nous suivait de loin (avec Éline dedans qui était encore malade). Cette petite balade (on marchait lentement) sur la piste, dans la partie du parc qui commence à ressembler à la jungle, nous a déjà apporté son lot de découvertes. On a vu (de très loin) des singes après les avoir entendus, des papillons à n’en plus finir, des cascades d’eau et nous avons appris à reconnaître l’oropendola qui ne nous quittera plus de tout notre séjour : c’est un peu l’équivalent exotique de nos corneilles, tellement on en voit partout. Au détour d’un tournant de la piste, Marco notre guide nous a aussi fait rentrer dans un petit observatoire privé (?!) où nous avons eu la chance de voir le fameux coq-des-roches, l’oiseau symbole du Pérou. N’étant pas naïf, je me demande s’il ne s’agissait pas d’un coq-des-roches apprivoisé qui était là pour les touristes. M’enfin, ça nous a permis d’en voir un… car ce sera la seule fois.
Après deux heures de balade, nous sommes remontés en minibus pour terminer les quelques heures de voyage qui nous séparaient encore de notre lodge du premier soir, à Pilcopata. Cette fois, nous sommes vraiment arrivés dans la jungle. Celle qui est presque plate et à 600m d’altitude. Avec encore plus de plantes, et encore plus chaud.
Sur le chemin, le village de Patria est connu et reconnu pour être un centre de narco-trafic. Il semblerait qu’il y ait beaucoup de plantations de coca cachées dans les tréfonds de la jungle autour de ce village. Au point qu’il a son propre (petit) aérodrome, ce qui est quand même significatif. Tout ceci nous pose encore question, à Steph et moi, sur la légalité de la coca. En effet, chaque fois qu’on demande à un péruvien si on a le droit d’acheter et d’avoir de la coca, ils nous disent « bien sûr ! ». Mais, à chaque fois qu’on cherche des feuilles de coca dans les marchés, on n’en trouve pas, même si on demande. Et ici, dans le parc, nous avons vu un contrôle de police pour vérifier qu’on ne sort pas de coca du parc ! On a même vu un trafiquant portant sur son dos d’énormes quantités de coca, quitter la piste pour faire un détour par la forêt pour éviter le point de contrôle policier. « Mais sinon, oui, la coca est tout-à-fait légale »… alors quoi !? En tout cas, nous, on a notre propre petit stock de coca en cas de coup dur 🙂
En attendant, en passant dans le village, il y avait un attroupement sur la piste, nous empêchant de passer. Le chauffeur a vite fait un détour par les rues secondaires pour éviter de se retrouver coincés là. De l’autre côté de l’attroupement, nous avons vu l’armée (ou la police militaire) débarquer. Bref, on ne s’est pas attardés. Et nous sommes arrivés sans encombre à notre premier lodge.
Après le choix de bottes en caoutchouc (qui ne nous quitteront plus pour les trois prochains jours) et le repas, nous avons fait une première night walk, promenade de nuit, durant laquelle on a déjà vu un caïman, un opossum, un rat des bambous, des insectes de toutes sortes (dont des gigantesques bullet ants) et des petites et grosses araignées. Avant une bonne nuit dans le lodge.
Éline, fatiguée et encore un peu malade, ainsi que Margaux, fatiguée, ne nous avaient pas accompagnés lors de la balade de nuit, afin de se reposer, parce que – vous savez quoi ? – il fallait se lever tôt le lendemain (« encore une fois ?! » dixit les enfants, surtout Éline). Dès 5h, en fait, car le programme de la matinée du vendredi était très chargé.
Vendredi
Après quelques explications dans le jardin du lodge et après s’être maquillés de peinture de guerre (comme les indigènes) à l’aide d’un fruit qui poussait là, nous avons continué à suivre la piste à pied pour observer la faune et la flore : encore quelques oropendolas – bien sûr -, des jacamars, des singes hurleurs, des fleurs de paradis, des fleurs bec-de-perroquet, des singes capucins, des geais violacés, des pics à ventre roux, et des buses à gros bec. Sympa, non ? Bon, il faut quand même vous dire que ce n’est pas comme dans un zoo. On les a vus, mais souvent furtivement (sauf les fleurs qui, c’est vrai, ne bougent pas vite) et si je vous mets les noms ici, c’est parfois en pleine confiance de ce que nous disait Marco. Honnêtement, les singes, on ne les a qu’aperçus. J’ai à peine vu leur couleur.
Mais, toujours le matin, nous sommes allés à une sorte de « café colibri », où, dans une terrasse installée dans la forêt, on vous sert un café au milieu de mangeoires à colibris. Histoire d’en voir. Et ça marche. Dans ce Jardín de picaflores, on a donc vu des colibris jacobin (plusieurs espèces). Et cette fois, on les voyait bien. On a même vu un toucan. Mais à nouveau, il s’agissait d’un toucan apprivoisé et nourri sur place. À le voir passer d’une branche à l’autre en sautant, je me suis même demandé s’il n’avait pas les ailes coupées, pour être sûr qu’il reste là. On ne saura jamais, évidemment. Par contre, de là, nous avons aussi vu nos premiers sarcoramphe roi (le nom anglais est plus simple : king vulture) ainsi que plusieurs urubus à tête jaune. Les rapaces, j’aime ça ! Et puis, par chance, nous avons aussi très bien pu voir des saïmiris (coucou Vinciane).
Après, nous sommes remontés en camionnette (qui nous avait entre-temps rejoints) pour aller jusqu’à l’embarcadère d’Atalaya. Et là, sans le savoir, nous allions embarquer vers une expérience encore plus intense… en montant dans un bateau. Vous savez, un peu comme dans Tintin et l’oreille cassée : une pirogue. Bon, la nôtre avait un moteur (vu le courant, c’était indispensable), mais l’ambiance était la même : nous naviguions, au milieu de la jungle, sur un fleuve puissant aux eaux brunes, vers un lieu perdu dans la forêt. Magique ! En plus – nous l’avons appris après – le conducteur du bateau, César, était un ancien no contact people qui avait choisi de quitter sa tribu pour vivre avec la civilisation (s’interdisant par là-même d’un jour retourner dans sa tribu).
En débarquant, nous avons commencé à marcher dans la jungle, la vraie. Oui, encore plus vraie qu’avant. Celle où il n’y a pas de piste et pas de voiture. Seul serpentait un sentier creusé à coups de machette par les propriétaires du lieu. Et ce sentier nous a mené à une source d’eau chaude où un bassin avait été aménagé pour la recueillir et en faire une piscine ! Et donc, à une heure de marche et 20 min de bateau de la civilisation, nous avons pris un bain d’eau chaude, au milieu de la forêt amazonienne. Avant de revenir au bateau et d’aller encore un peu plus loin, vers notre lodge pour le repas de midi. Car oui, tout cela, c’était en une matinée !
Ceux qui me connaissent bien savent que je suis plutôt du genre viking : j’aime le froid et les shorts, même en hiver. Alors la chaleur de la jungle, avec une humidité probablement proche de 100%, combinée à un bain (très) chaud… hé bien mon corps n’a pas aimé. Je pense qu’il ne savait pas trop comment refroidir tout cela, lui qui est tellement habitué à me maintenir au chaud. Du coup, j’ai beaucoup, beaucoup sué, vu que c’est la seule chose que mon corps sait faire pour refroidir. Même 2h après le bain chaud, à une température raisonnable, au repos au lodge, mon corps n’arrêtait pas de me faire suer à grosses gouttes. Comme Margaux était vraiment épuisée, j’en ai profité pour aider mon corps en ne faisant rien : je suis donc resté au lodge l’après-midi avec Margaux pendant que Steph et les deux grandes allaient découvrir, dans un marais, quelques oiseaux dont un (de style) préhistorique, le hoazin huppé. Le soir, tout le monde au dodo tôt. Devinez pourquoi ? Parce qu’il faudra se lever encore plus tôt ! (« encore une fois ?! » dixit les enfants, surtout Éline). Cette fois, c’est carrément à 4h qu’on se lève pour aller au fameux Parrots clay lick que je traduirai maladroitement par le « léchage d’argile par des perroquets ».
Samedi
Mais à 4h samedi… il pleuvait des cordes, ce qui compromettait le départ vers la falaise aux perroquets. Et donc Marco, notre chouette guide, est passé à côté de chaque lodge en criant : « Sir, sir, continue a sleep » (littéralement « monsieur, monsieur, continuez un sommeil« ). Non, il ne parlait pas bien anglais du tout, mais c’était drôle. On se rappellera aussi ses « sis o’clot » au lieu de « six o’clock » ou encore ses « seven gears » au lieu de « seven years« . Le principal, c’est qu’on se comprenait. 🙂
Bref, on s’est remis au lit (les enfants, eux, étaient restés endormis), sous la pluie. Et ça, c’était vachement bien aussi. Il faut vous imaginer que ces lodges étaient, en fait, complètement ouvertes entre les murs et le toit (environ 50cm, protégés par une moustiquaire), sans vitres aux fenêtres (à nouveau, seulement des moustiquaires) et avec un toit en tôle métallique. Donc, le bruit de la pluie, on en a bien profité ! Quoi de plus magique que de dormir sous une drache tropicale, en pleine forêt amazonienne ?
Le samedi, nous avons donc passé un long moment à attendre que la pluie cesse, car il était impensable de sortir sous une telle douche. Le rio lui-même avait nettement augmenté et empêchait qu’on navigue dessus. Nous avons passé la matinée dans la salle à manger à jouer aux dés ou écrire (j’y ai d’ailleurs commencé l’article sur le Machu Picchu). On a perdu une matinée d’activité, mais on a gagné l’expérience de la pluie tropicale. On n’y a pas perdu au change, je pense. Guillermina, la cuisinière, en a profité pour nous gâter. Non seulement elle cuisinait admirablement (buffet, pancakes, crème au chocolat, …), mais en plus elle veillait à ce qu’il y ait toujours de la tisane ou des biscuits disponibles. Vraiment, un très bon point pour la nourriture !
L’après-midi, le ciel fût plus clément et nous avons pu sortir pour une balade botanique aux alentours du lodge. Même si c’était une balade, Marco avait pris une machette, qui fût bien utile pour débroussailler le passage. On y a découvert, principalement, les « walking palm trees« , les palmiers marcheurs qui, comme leur nom l’indique, marchent ! En fait, en fonction de leur besoin de soleil, ils font pousser, hors sol, des nouvelles racines et font pourrir d’anciennes de manière à se déplacer – on parle de quelques dizaines de centimètres sur leur vie, hein… c’est pas non plus des ents. Nous avons aussi découvert de belles lianes sur lesquelles nous avons joué à Tarzan. Vraiment, hein : en sautant, en criant au-dessus du vide et tout et tout. Génial. On a terminé le tour en découvrant un gigantesque ficus étrangleur, un arbre qui enserre et étrangle un autre arbre, et lui pique tous ses nutriments au point de le faire mourir. Ce qui fait qu’après un moment, il y a un grand creux au milieu du ficus, laissé par l’arbre qui s’est fait manger… Une fois le soir tombé, nous avons encore fait une randonnée de nuit pour voir des animaux, mais moins que la première fois. Suivi d’un repas rapide afin qu’on aille dormir tôt… parce que… suspense… on va se lever tôt le lendemain ! Ben oui, on a raté le parrot clay lick aujourd’hui, donc on va réessayer demain ! Réveil à 4h ! (« encore une fois ?! » dixit les enfants, surtout Éline)
Dimanche
Cette fois, il ne pleut pas. On marche donc jusqu’à la rivière pour embarquer sur le bateau. Vingt minutes de bateau nous donnent l’occasion de voir une famille de capybaras traverser le rio – honnêtement, je ne sais pas comment ils ont fait, surtout les petits, pour ne pas se faire emporter par le courant ! Nous arrivons les premiers aux fameuses falaises. D’autres touristes, provenant d’autres lodges, nous rejoindront bientôt, heureusement très peu : que deux autres bateaux. Alors c’est quoi, ce fameux parrot clay lick, clou du spectacle ? Et bien c’est un rassemblement en très grand nombres de perruches, perroquets et aras, tôt le matin, pour venir manger de l’argile des falaises situées en face de nous. Ces falaises argileuses étaient, au temps de la pangée, une mer, et sont donc bourrées de sel, de phosphores et autres minéraux bien utiles à tous ces psittacidés. Je vous passe les détails du protocole manifestement bien connu des perroquets, mais en gros, il s’agit d’un lieu de nourrissage, mais aussi de rencontre entre jeunes perroquets cherchant l’âme sœur – les perroquets étant monogames. C’était donc censé être le moment clé du tour en Amazonie, mais nous avons été bien déçus : on était loin et on ne les a pas bien vus ; il pleuvinait donc il y avait peu d’oiseaux (quelques dizaines au lieu des milliers qu’on nous vendait) ; et les photos ne donnent rien, même à travers le télescope de Marco. Mais bon, on a vu quand même pas mal d’aras et ça nous fait une histoire à raconter sur le blog 🙂
Suite à cela, nous sommes retournés (en bateau, ce qui est toujours chouette) au lodge prendre le petit déjeuner avant d’entamer le trajet de retour vers Cuzco. Ce qui veut dire encore 30 min de bateau (à contre-courant, c’est plus long), transfert vers le minibus et puis 3000m d’altitude et huit longues heures de voyage. Oui, j’avais dit que la réserve était à 5h de Cuzco, mais c’était seulement l’entrée… il y avait encore 3h à l’intérieur ! Il faut noter qu’au passage, nous sommes aussi allés rendre visite à un refuge pour animaux blessés. Ça nous a permis de voir les animaux qu’on ne voit pas facilement pas dans la nature : des aras de près, deux tapirs, des pécaris et quelques singes facétieux qui sautent sur les touristes et les mordillent.
Malheureusement, vu qu’il avait beaucoup plu, il y avait quelques éboulements sur la route, ce qui a provoqué trois déviations (imbriquées l’une dans l’autre), rallongeant encore un peu le trajet. C’est épuisés, fourbus, mais contents que nous avons retrouvé notre petit appartement à Cuzco, où on se sent si bien. Il sera encore notre pied-à-terre pour quelques jours !
PS : pour ceux que ça intéresse, voici un reportage d’ARTE sur la forêt vierge amazonienne du Pérou (42 minutes). Nous l’avons vu avec les enfants et on y retrouve vraiment bien l’ambiance de ce qu’on a vu. Et les explications sont les mêmes que celles de notre guide. On y voit même le fameux parrots clay lick, tel qu’on aurait pu le voir si la météo avait été meilleure.