Après quelques jours passés à Puno et après la visite des Islas Uros, nous sommes partis passer trois jours à Llachón, un petit village sur la péninsule de Capachica, en face de Puno. Clémentine et Gilad, un chouette couple franco-israélien que nous avons rencontrés lors du trek à Choquequirao, nous ont vivement recommandé le logement dans la famille de Juana (prononcez « Chouana » avec le « ch » comme en néerlandais). Merci à eux, nous n’avons pas regretté d’y être allés !!!
Sur la carte du lac Titicaca, Llachón est tout près de Puno. Mais il nous a fallu une heure et demi de minibus pour y aller. Ici, on apprend à relativiser notre sens des distances de mini-belges ! Je crois qu’une excursion d’une demi-journée à la mer sera tout à fait envisageable après notre retour 🙂
Juana et sa nièce Zoe (prononcez « Soï »), 5 ans, sont venues nous accueillir en la pista, sur le bord de la route, car on n’aurait pas su où arrêter le minibus. Avec leur aide, nous avons monté nos bagages jusqu’à leur maison de pisé, un peu plus haut sur la colline, construite autour d’une petite cour fleurie. Juana a tout de suite donné le ton du séjour : « Installez-vous, détendez-vous, je vous appellerai pour le repas (de midi). » Après le repas, sieste et repos pendant 1h. Le temps est autre ici. La vie est tellement plus simple ! Vraiment.
Après la sieste, nous avons aidé Juana et sa maman Yrene (prononcez « Iréné ») dans les champs : à l’aide de houes, nous avons désherbé un champ de habas, de fèves potagères. L’idée était d’enlever les plantes envahissantes et de reformer les buttes sur lesquelles poussent les plantes de habas. Nous nous y sommes tous les cinq attelés avec beaucoup d’enthousiasme ! Pas facile pour nous, sédentaires intellectuels, de travailler pliés en deux. Quelques dos se sont faits sentir. Et celle qui allait le plus vite, c’était la plus âgée : Yrene. Impressionnant !
J’ai adoré travailler la terre à mains nues. C’était une magnifique terre meuble, couleur marron. Yrene était même à pieds nus. J’ai adoré travailler toutes ensemble aussi (« toutes », puisque Nico était le seul homme). J’ai été étonnée par Margaux, qui a travaillé avec application sans se déconcentrer et sans se fatiguer. « Maman ! J’adore agriculturer ! » Zoe, pourtant un peu plus âgée que Margaux, passait par contre plus de temps à jouer avec son chien Ccollpa (prononcez « choïpa » avec le « ch » comme en néerlandais) et à défaire nos buttes.
Après avoir terminé toutes les lignes du champ sauf une, Juana nous a proposé de rentrer et de changer d’activité. Sur une lliclla (prononcez « jichja » comme le prononcerait un néerlandophone ; c’est un tissu très coloré, carré, dans lequel les femmes portent toutes sortes de charges et/ou un bébé) usée posée par terre au jardin, Juana a déposé des cosses de habas séchées. Avec des bâtons, nous les avons tapées pour les casser et en faire sortir les fèves. Lucie, Zoe et Margaux ont eu un grand plaisir à donner aux trois moutons attachés à un poteau juste à côté de nous, les cosses cassées, dont ils raffolent. Ils les mangeaient en faisant croc croc croc. Une fois toutes les cosses cassées et données aux moutons, nous avons rassemblé toutes les fèves dans une autre lliclla. Nico a profité de ce moment pour se reposer et lire.
J’ai beaucoup aimé travailler entre femmes et discuter avec Juana. Je lui ai dit que je suis doula. On a eu une super discussion sur les traditions et croyances autour de la naissance. Et plus largement sur notre lien avec la Terre, la nature et les animaux.
Je lui ai dit que chez nous en Belgique, la plupart des gens sont détachés de la Terre, ne cultivent plus rien, ne vont que rarement dans la nature. Je lui ai dit comme j’admirais tout ce qu’elle et sa famille savent faire, tout simplement parce que ça leur a été transmis : cultiver céréales et légumes, s’occuper d’animaux, tisser, tricoter, crocheter, utiliser les herbes médicinales, accoucher, materner les bébés et bien d’autres choses encore. Toutes des choses que chez nous les femmes savaient faire aussi il y a quelques générations, mais qu’elles ont laissé tomber en échange de la « modernité ». J’ai rajouté qu’il y a quand même aussi un retour vers la Terre, une envie de se remettre au potager. Juana m’a dit que selon les croyances ici, si on n’est pas en lien régulier avec la Terre (la nature, les plantes, les animaux), notre âme devient malade. Je comprends très bien, intérieurement, ce qu’elle veut dire.
Tous les repas dans la famille de Juana étaient compris dans le prix du logement, et super bons ! Que c’était reposant de ne pas devoir se demander ce qu’on allait manger, ni où, ni comment ! Après avoir écossé les habas, Zoe m’a emmenée dans la cuisine traditionnelle au sol en terre, où sa maman Jonka (prononcez « chonka », de nouveau comme en néerlandais), la sœur de Juana, était en train de cuisiner le souper sur un feu de bois. Je me suis assise près d’elle sur un rondin de bois et on a discuté. Tout en discutant, j’ai coupé en plus petits morceaux des branches séchées d’eucalyptus qui étaient entassées là pour le feu.
Ça m’a fait beaucoup de bien, lors de notre séjour, de côtoyer des femmes, de discuter avec elles, d’échanger sur toutes sortes de sujets qui nous concernent toutes. On est proches en tant que femmes et mères, quelle que soit la différence de culture ou d’éducation. J’ai beaucoup d’affection pour Jonka et Juana.
Jonka m’a dit plusieurs fois que leur vie est tranquille. Qu’elles sont bien. En effet, en partageant quelques jours avec la famille, je me suis rendu compte comme nous sommes envahis pas mille choses prenantes dont les femmes ici ne se préoccupent pas. Elles travaillent dur, mais le soir, quand le boulot est fini, il est vraiment fini. Pas d’administratif, pas d’emails à gérer, pas de photos à trier, pas de rendez-vous à prendre. Les tâches sont souvent partagées. Une voisine vient dire bonjour et aide à peler les pommes de terre tout en discutant en Quechua.
Il y avait peu d’hommes à la maison. Le mari de Jonka travaille à Arequipa, à 6h de route, et rentre une semaine par mois. Le mari de Juana, je ne sais pas. Le seul homme adulte de la famille était Raul (« Raoul »), un jeune oncle.
Taquile
Le deuxième jour chez Juana, nous sommes allés avec elle et son jeune tonton Raul visiter l’île de Taquile. C’était un matin pluvieux, venteux et très froid, mais Juana nous a assuré qu’à Taquile, il ne pleuvrait pas. Taquile semble être située juste à côté de la péninsule de Capachica où se situe le village de Llachón, mais de nouveau, il nous a fallu une heure et demi de bateau pour y arriver. Le lac était très agité, surtout du côté de Llachón. C’était impressionnant ! Notre barque était bien ballotée. Juana avait apporté des couvertures pour nous envelopper car il faisait très, très froid. J’ai eu une pensée émue pour les courageux migrants qui tentent d’arriver en Europe. Ils entreprennent ce genre de traversée, beaucoup plus longue et périlleuse, dans l’espoir d’une vie meilleure, et ne savent pas s’ils arriveront vivants. Notre traversée à nous était agitée, mais autrement plus confortable.
Taquile était entourée de brume quand nous sommes arrivés, mais celle-ci s’est vite dissipée pour laisser apparaître de magnifiques paysages aux airs méditerranéens. On aborde l’île par une série d’escaliers bien raides, qui ont coûté pas mal d’efforts à nos louloutes. En haut des marches, on devait être à un bon 4000m d’altitude.
Nous avons traversé l’île de Taquile du nord au sud, sur la majeure partie de sa longueur. Il faut savoir qu’il n’y a sur Taquile ni voitures, ni chiens. Quel plaisir, les chemins pavés de pierres, réservés uniquement aux piétons ! Nous avons mangé une délicieuse trucha a la plancha (une truite saumonée, frite) dans un restaurant surplombant une plage, à l’autre bout de l’île. Après le repas, nous avons visité la plage, puis nous avons retrouvé notre capitaine dans un tout petit port tout proche.
Le lendemain, après les devoirs de maths, Nico, les filles, Juana, Zoe et la petite chienne Ccollpa sont allés jouer à la plage toute proche de la maison pendant que j’aidais Jonka à préparer le repas de midi. Oui, j’avais vraiment envie de profiter du contact avec les femmes de la famille. Yrene et une voisine sont venues nous aider.
Dans l’après-midi, les femmes nous ont montré comment elles filent la laine et la tissent. C’était super intéressant ! Comment transformer la laine brute en fil et l’enrouler sur un fuseau, et une fois qu’elle est teinte, comment la torsader sur un autre fuseau pour qu’elle soit assez solide pour être tissée. Pour torsader, il faut faire tourner le fuseau comme une toupie. J’ai essayé, ce n’est pas facile. Nico a essayé aussi et s’en sortait mieux que moi. Les femmes étaient super enthousiastes. À mon avis, c’était la première fois qu’elles voyaient un homme si intéressé. Par contre, en ce qui concerne le tissage, c’est beaucoup plus compliqué. On n’a pas tout compris.
Juana nous a aussi montré comment utiliser la lliclla pour porter un bébé ou des pommes de terre par exemple.
Ce fut un séjour court mais très beau et riche en contacts et en apprentissages. Jonka m’a demandé lors d’une de nos discussions si les gens en Belgique étaient plus éduqués qu’ici. Je lui ai dit que oui, ils font en moyenne de plus longues études, mais que ça leur ferait beaucoup de bien d’apprendre à sortir plus souvent de leur tête pour être tout simplement dans leur corps. C’est juste ma conviction.