J’ai envie de vous raconter ma promenade seule au bord de l’océan Atlantique à Barra de Valizas, en Uruguay. Les promenades seule dans la nature me font énormément de bien. Je marche à mon rythme, je m’arrête tout le temps pour observer un détail, m’imprégner du paysage, respirer, faire des photos… J’embarque chaque fois tout un sac à dos : appareil photo, carnet de notes, un bic et quelques crayons de couleur, gourde, crème solaire…
Nico avait prévu de faire de chouettes choses avec les filles, entre autres les emmener manger des alfajores glacés. Je l’avais prévenu de ne pas s’inquiéter si je ne rentrais pas avant la tombée de la nuit. À Barra de Valizas à cette saison, il fait noir à 18h30.
Je suis donc partie avec mon sac à dos. J’ai adoré me balader chaque jour au bord de l’océan. Avec les filles, pendant que Nico travaillait, ou seule. Pas deux fois il n’était le même. Et il y a toujours le suspense de découvrir ce qu’il nous a rapporté : poissons échoués, coquillages, œufs de requin.
Vers le sud, en direction de Cabo Polonio, la plage de Barra de Valizas est assez vite « coupée » par l’embouchure du Valizas, un petit fleuve pas profond et large d’une quinzaine de mètres. Au-delà de l’embouchure du fleuve, la plage continue en courbe vers l’océan et est bientôt bordée de grandes dunes de sable. On était au début de la basse saison. Il n’y avait pas grand monde sur la plage. Au-delà de l’embouchure du Valizas, il n’y avait carrément personne. C’était super tentant, cette immense plage déserte !
On est sensé pouvoir traverser le Valizas à pied. C’est le chemin indiqué sur OpenStreetMap pour aller au village de Cabo Polonio, à 8 km de là vers le sud. Nico avait déjà tenté la traversée tout au début de notre séjour, mais il s’est vite retrouvé avec de l’eau jusqu’à mi-cuisses, sans encore être au milieu du fleuve. J’avais donc comme à priori que ce serait plutôt impossible de traverser, aussi tentant cela soit-il.
J’ai donc commencé par longer la rive nord du fleuve jusqu’à un point où je ne pouvais plus continuer, car une maison était construite juste le long de la rive. Je suis donc restée là un temps, à observer des bancs de minuscules poissons nager à contre-courant. Le fleuve était bien plus large à cet endroit-là qu’à l’embouchure. De l’autre côté du fleuve, la plage déserte et l’océan. Un pêcheur est arrivé. À 10 mètres de moi, il a traversé, tout droit. Ça ne semblait pas être si difficile que ça. Il devait bien connaître les lieux évidemment. À part le fait d’arriver à traverser, j’avais une autre question qui me chipotait : est-ce qu’on est sûr de pouvoir retraverser dans l’autre sens, ou est-ce que la marée risque de monter et de rendre la traversée impossible ?
Je me suis dit que j’allais demander à des gens. Il y avait justement un couple qui arrivait dans ma direction. C’était des Autrichiens. Ils m’ont expliqué qu’ils passent 6 mois de l’année en Autriche et 6 mois en Uruguay, soit à Barra de Valizas, soit à Piriápolis. Ils m’ont confirmé que c’était tout à fait possible de traverser le Valizas à pied et m’ont conseillé d’aller plutôt à l’embouchure et de ne pas marcher tout droit, mais de décrire un grand arc de cercle dans l’océan. Oui, dans l’océan. C’est là que l’eau est la moins profonde. Ils m’ont confirmé aussi ce que j’avais déjà remarqué : l’océan ne monte ni ne descend pas beaucoup en une journée. Pas de vraies marées, donc aucun souci pour retraverser dans l’autre sens. Je les ai remerciés et je suis retournée vers l’embouchure du fleuve. Arrivée là, hmmm, comment dire ? Il ne m’inspirait pas vraiment confiance, ce fleuve. Du courant dans un sens, les vagues de l’océan dans l’autre sens. J’hésitais à me lancer. Une partie de moi disait « Ouiiiiiii, vas-y, elle est trop tentante cette plage ! » et une autre partie disait « Mais non, tu as peur, pourquoi prendre des risques ? Reste du côté sûr, c’est tellement plus facile. » J’ai ramassé des coquillages en attendant de prendre une décision.
À un moment, j’ai vu du coin de l’œil que mon couple d’Autrichiens avait rebroussé chemin, comme moi, et revenait vers moi. Bonne nouvelle ! J’ai continué mon ramassage de coquillages. Quand ils sont arrivés à ma hauteur, l’homme m’a lancé un « Do you want to cross? » (Veux-tu traverser ?) Sans hésiter, ou plutôt sans laisser de place à mes hésitations, j’ai dit « Yes! » Il m’a réexpliqué, en me montrant, par où passer. Je l’ai remercié et je me suis lancée. Au début, c’était très facile : l’eau n’était pas profonde du tout, jusqu’à mi-mollet, et très transparente. Mais je voyais qu’à quelques mètres devant moi elle semblait déjà nettement plus tumultueuse et profonde. En effet : je me retrouvais dans de l’eau de plus en plus profonde. J’ai essayé d’aller un peu plus vers l’océan. Pas mieux. Encore plus vers l’océan. Non. Je sentais l’inquiétude et le découragement monter. En me disant que je n’y arriverais pas, j’ai lancé un regard à la ronde et derrière moi et j’ai vu… mes deux Autrichiens sur l’autre rive qui me regardaient. Le monsieur a fait de grands arcs de cercle avec son bras pour me dire d’aller plus dans l’océan, beaucoup plus dans l’océan.
Si j’avais pu, je les aurais serrés dans mes bras tous les deux ! C’était adorable d’être restés ! Je me suis dirigée beaucoup, beaucoup plus vers l’océan et en effet, l’eau est vite devenue moins profonde, jusqu’à ce que je n’en aie même pas jusqu’au mollet. Quelle joie ! J’étais en train de la faire, cette traversée ! Accompagnée de loin par deux gentils anges gardiens. Quand je suis arrivée sur l’autre rive, je me suis retournée et je leur ai fait de grands gestes pour les remercier et leur dire au revoir.
Qu’est-ce qu’elle était belle, cette plage déserte ! Et ces grosses vagues qui venaient se briser sur le sable doré. La plage me rappelait fort Colola au Mexique, cette plage du Pacifique où j’ai fait un chantier international avec les tortues marines en 2005.
Je n’avais marché que quelques mètres le long de l’eau quand j’ai cru voir bouger quelque chose à mes pieds nus. J’ai baissé le regard. Un petit serpent beige, noir et rouge ! C’était le premier que je voyais de tout le voyage. Il était très joli, mais ses couleurs et sa petite langue fourchue me disaient « Attention ! Pas touche ! » Qu’est-ce qu’il faisait là ? J’avais l’impression qu’il me disait « Bienvenue de l’autre côté ! » J’aime bien les serpents. Ils ont une symbolique très forte et très positive. Pour les Incas, c’est un animal sacré qui représente le monde sous-terrain.
J’ai marché jusqu’au bout de la plage, là où elle arrive sur de gros rochers et passe le long d’une énorme dune de sable. J’avais envie d’écrire, donc je me suis installée sur un des gros rochers. J’y suis restée longtemps.
Lorsque le soleil s’est approché de l’horizon, je me suis levée pour repartir. Mais d’abord, j’ai grimpé tout en haut de la dune pour voir le paysage. Quand je suis redescendue, trois personnes m’attendaient près du rocher où je m’étais assise. Deux femmes et un homme. Pendant que j’écrivais, ils étaient passés en direction de Cabo Polonio, et maintenant ils revenaient vers Barra de Valizas. Ils m’ont dit qu’à l’aller ils m’avaient vue écrire dans un carnet et ils m’ont demandé si j’étais une « investigadora« . Une chercheuse. Pour les tortues marines ou autre. J’ai ri. Je leur ai dit que non. Ils m’ont demandé ce que j’écrivais. « Juste des choses que j’ai dans ma tête, » leur ai-je répondu. Je leur ai expliqué que j’étais en voyage avec mon mari et mes trois filles. Que là c’était mon après-midi sans enfants et que j’en profitais pour me promener et écrire les belles choses que je vois ou auxquelles je pense. Ils ont acquiescé. « Soy investigadora de cosas bonitas« , « Je suis chercheuse de belles choses », ai-je conclu. On a tous ri. Sur le coup, elle était bien trouvée, ma phrase. C’est vrai que je me sens être une chercheuse de belles choses.
Je les ai laissés s’éloigner, puis j’ai aussi entamé le chemin du retour. La plage était encore plus belle dans la lumière du soir. Au moment de retraverser le fleuve, il n’y avait plus personne, ni sur la plage déserte, ni sur la plage plus fréquentée. Je savais que j’aurais un peu peur en traversant. Mais je savais aussi que j’y arriverais. Et j’y suis arrivée !
Je suis rentrée à la maison la nuit tombée, gonflée de joie et de fierté ! Je sais qu’il y a quelques années, je n’aurais pas traversé. J’aurais privilégié la prudence, et j’aurais gardé en moi un regret de ne pas avoir osé. Aujourd’hui, de plus en plus souvent, je choisis d’oser. Et ça me fait beaucoup grandir.