Nico a déjà raconté dans cet article comme les « bloqueos« , les barrages de routes par des manifestations, nous donnent du fil à retordre en Équateur. En même temps, c’est ça aussi le voyage : des imprévus qui mettent à l’épreuve notre capacité d’adaptation et notre créativité.

Dans cet autre article, j’expliquais que nous avons quitté Quito en avion (impossible en bus) pour retourner à Guayaquil, dans le sud et près de la côte. Dans cette région, il y a moins, voir pas, de bloqueos. Nous avons passé deux jours à Guayaquil, pour faire découvrir à Élisabeth le Malecón (la promenade en bord de rivière), le joli quartier de Las Peñas et le Parque Bolivar avec ses iguanes.

Puis l’idée était de remonter un peu plus au nord, le long de la côte Pacifique, plus précisément à Puerto López, pour… aller observer les baleines à bosse !!! On en rêvait. Rien ne devait nous en empêcher, puisque les blocages sont quasi inexistants à la côte. Pensions-nous.

Ce matin, nous avons commencé par perdre une demi-heure en enfermant la clé de l’une de nos chambres d’hôtel à l’intérieur de la chambre. Les très sympathiques gérants de l’hôtel sont venus avec un immense trousseau de clés, évidemment, non étiquetées. D’abord la dame les a toutes essayées les unes après les autres. Aucune n’ouvrait la porte en question. Puis le monsieur a essayé. Rien à faire. Ils ont fini par l’ouvrir… avec une carte de banque !

Après cette petite diversion, nous avons pris deux taxis vers la gare de bus de Guayaquil. C’est la plus impressionnante que nous ayons vue de tout notre voyage ! Elle est tellement grande qu’on dirait un aéroport. Les bus montent au 1er et au 2e étage pour aller chercher les passagers ! 

« Guichet 24 ! » nous a dit l’employé du stand info de la gare de bus, quand nous lui avons demandé le bus vers Jipijapa (prononcez chipichapa, avec un « ch » comme en néerlandais). Nous devions d’abord prendre un bus jusque dans cette petite ville, avant de pouvoir en prendre un autre vers Puerto López. Au guichet 24, surprise ! Les bus ne roulent pas ! Nous ne nous attendions pas du tout à celle-là !!! On n’est plus à Quito, pourtant. Mais le mouvement de protestation s’étend. L’employé du guichet 24 ajoute avec un sourire en coin à son collègue qu’il roulera probablement à 14h. Il était à peine 11h ! Nous comprenons tout de suite que mieux vaut ne pas attendre : ce bus de 14h est tout à fait hypothétique.

Nous nous éloignons donc pour nous asseoir sur un banc et réfléchir. Que faire ? Si nous ne pouvons pas aller à Puerto López et que tout est bloqué à ce point, ne restons pas en Équateur ! Allons directement en Colombie. L’aéroport de Guayaquil se site juste à côté de la gare de bus. Nico vérifie sur son téléphone les conditions pour entrer en Colombie : nos filles n’étant pas vaccinées, elles doivent faire un test PCR. Où fait-on des tests PCR à Guayaquil ? Nico est retourné au stand info pour demander si par le plus grand des hasards, il y aurait moyen d’en faire dans la gare de bus ou dans l’aéroport. Ça arrive.

Pendant qu’il était parti, trois malabars, qui étaient assis derrière nous, nous adressent la parole pour demander où nous voulons aller. Je réponds « Euh… Jipijapa… » pendant qu’Élisabeth me glisse : « Attention aux bagages, ils ne m’inspirent pas confiance ceux-là. » En effet : je m’étais déjà fait la même réflexion. L’un des hommes, portant un t-shirt avec un drapeau américain et une inscription « George W. Bush », me dit que si, bien sûr, il y a des bus pour Jipijapa. « Venez, venez, je vais vous montrer ! » Je me suis dit : « Attention aux bagages, restons groupir ! » J’ai répondu que je préférais attendre mon mari qui était allé chercher des infos. Il a dit : « Je vais aller voir pour vous ! »

Quand Nico est revenu, le monsieur était revenu aussi, et il a confirmé qu’il y avait bien un bus pour Jipijapa. Nous avons pris nos bagages et l’avons suivi jusqu’au… guichet 25, juste à gauche du précédent ! Ces bus-là roulaient en effet, jusqu’à une destination plus lointaine, mais Jipijapa était sur leur chemin et… le prochain bus partait dans cinq minutes ! Nous avons discuté avec les deux employés du guichet. Le bus allait-il arriver ? Pourquoi celui d’à côté ne roule pas alors ? Ils nous ont assuré qu’il allait faire un détour pour éviter les blocages et qu’il arriverait bien à destination. Ah notre bonne étoile, qu’est-ce qu’on ferait sans toi ? Nous avions tout juste le temps de payer nos billets, d’acheter un sandwich par personne et de monter au 2e étage pour prendre le bus. Notre malabar fan de George Bush nous a guidés jusque là. Évidemment, il espérait une propina (pourboire), que nous lui avons donnée avec grand plaisir, vu le fameux service qu’il nous a rendu !

Et hop ! Tous dans le bus ! En démarrant, j’ai demandé aux deux jeunes hommes devant nous s’ils pensaient qu’on aurait des bloqueos. L’un d’eux a répondu « Con la ayuda de arriba… » (Avec l’aide d’en haut…) Ce n’était donc pas gagné. Mais le trajet fut magnifique : marécages et rizières d’abord, maisons en bambou sur pilotis et des milliers d’oiseaux : grandes aigrettes, petites aigrettes, aigrettes neigeuses, vautours urubu, toutes sortes d’autres rapaces et de petits passereaux. Puis un terrain plus sec avec des plantations d’immenses arbres aux feuilles géantes, des plantations de cacao et de bananiers. Nos deux amis devant nous et deux autres jeunes derrière assuraient l’ambiance musicale en stéréo, mais pas synchronisée. Ça m’a plus amusée qu’irritée.

Après avoir pris de petites routes au lieu de la grande toute droite, nous sommes arrivés après un peu moins de 4h de route à Jipijapa, youpie ! Nico est tout de suite parti s’informer pour le bus suivant, vers Puerto López. Il est revenu en faisant de grands gestes : le bus partait dans 5 minutes ! Quel bol ! Juste avant de monter, j’ai acheté à un vendeur ambulant six morceaux de cake à la banane. Et nous sommes partis !

La gare de bus de Puerto López est à 3 km du village. Environ 5 km avant d’y arriver, nous avons été bloqués ! Par un vrai blocage tenu par les, hum… Ici, ils disent « los indígenos« , les indigènes. Mais je ne vois pas en quoi ils sont plus indigènes que les autres équatoriens. Ils sont tous équatoriens depuis plusieurs générations. « Los indígenos » ont juste moins de sang « espagnol », ils vivent plus dans les petits villages reculés et ont souvent la peau plus foncée. Ici en Équateur, on voit fort la différence avec la Bolivie, où il y a un réel effort d’intégrer tout le monde dans le sentiment d’être Bolivien(ne). La population équatorienne a l’air beaucoup plus divisée.

Bref, nous nous sommes donc retrouvés bloqués derrière d’autres bus, voitures et camions. La grosse majorité des gens de notre bus ont pris leurs affaires et sont directement descendus du bus. Probablement pour passer le barrage à pied. Nico est descendu aussi pour aller voir. Il est revenu une dizaine de minutes plus tard. 50-60 « indígenos » tenaient une simple corde tendue en travers de la route. Ils avaient un grand bout de tissu avec un slogan écrit dessus et criaient de temps en temps quelque chose tous en chœur. Nous avons discuté deux minutes et sommes retournés à deux près du barrage pour discuter avec les policiers qui se trouvaient là. Selon eux, aucun problème pour passer. « Ils sont gentils ». Sinon, si on préfère attendre, ils laissent régulièrement passer les véhicules aussi. Toutes les heures, parfois toutes les deux heures.

Pas envie d’attendre ! Nous décidons de passer à pied. Nous retrouvons, dans la foule qui papote devant le barrage en attendant qu’il ouvre, notre chauffeur de bus. Nous lui demandons d’ouvrir la soute pour récupérer nos grands sacs à dos et valises. Sur le chemin vers le bus, il explique à tout qui veut l’entendre qu’en 2019 (si je me souviens bien), les gens de son secteur ont manifesté contre la hausse du prix du carburant, en ajoutant :  « Los indígenos ne nous ont pas soutenus. Et maintenant que le prix des aliments augmente aussi, ils manifestent ! » Sous-entendu : « Je leur en veux et je ne les soutiens pas ! » De retour au bus, nous rassemblons tous nos avoirs et nous mettons en route. Au barrage, nous voyant arriver, un homme se précipite pour baisser la corde avec son pied afin que nous puissions passer au-dessus. Certains tiennent en main des lances en bois décoratives, d’autres portent au-dessus de leur pantalon une jupe en paille, d’autres encore une coiffe avec quelques plumes. Attributs des peuples autochtones. Tous nous accueillent avec le sourire : « Bienvenidos! Hello! » « Ballenas! Ballenas! » « Nos vemos mañana » (Baleines ! Baleines ! On se voit demain !) et ils éclatent de rire. L’ambiance est chaleureuse et bon enfant. Nous traversons le groupe en leur répondant et en rigolant de leurs blagues.

De l’autre côté du barrage, nous trouvons, au bout de la file de véhicules qui attendent pour passer, un pickup qui dépose des gens. Il s’apprête à faire demi-tour vers Puerto López ! Nous l’arrêtons et lui demandons si nous pouvons monter. Les filles sont aux anges : elles adorent voyager dans le « bac » du pickup ! C’est donc comme cela que nous parcourons les 8 derniers km qui nous séparent de Puerto López.

Finalement, mis à part deux rebondissements, le voyage a été fluide. Et nous avons fait le plein de belles expériences humaines. N’empêche, à quoi ça tient… Si les trois malabars de la gare de bus de Guayaquil ne s’étaient pas adressés à nous, si nous ne leur avions pas répondu, nous serions en Colombie à l’heure qu’il est !

Merci de ne pas partager cet article sur les réseaux sociaux. Si vous souhaitez en parler à quelqu'un, prenez le temps de lui en parler ou de lui écrire un email. 😋