Aujourd’hui, nous sommes allés visiter une finca cacaotera (une ferme cacaoyère) nommée « Hacienda Cacao & Mango » à l’ouest de Guayaquil.
Ce fut une journée incroyable, mémorable pour nous petits belges, fans de chocolat ! Nous étions excités comme des puces à l’idée de visiter une plantation de cacao et de voir de nos yeux comment on passe de la cabosse à la tablette.
Le dieu du cacao était avec nous !
Nous avons eu une chance de fou : le paro nacional (la grève) avec ses blocages de routes a pris fin hier après-midi ! Pendant les semaines avant notre arrivée, la route que nous avons empruntée pour aller à la hacienda était fréquemment bloquée.
La femme avec qui j’étais en contact pour la réservation m’a donné les instructions pour arriver à la hacienda Cacao & Mango. Elles étaient pour le moins bizarres : à la gare de bus de Guayaquil, prenez le bus SAN jusqu’au kilomètre 15.
Pardon ? Pas de direction ? Pas de nom de village où nous arrêter ? Ok, tentons. À la gare de bus, il y avait bien une compagnie de bus nommée S.A.N. et l’un de ses arrêts s’appelait « Kilómetro 15″. C’était tout simple. Au kilómetro 16, Elvis, un voisin de la hacienda qui élève des cochons, est venu nous chercher avec son pickup (Youpiiiiiiie, toutes dans le bac !). Nous avons emprunté sur quelques kilomètres une route en terre sèche bordée de petites maisons en bambou sur pilotis. Du linge séchait sur des fils, des enfants couraient pieds nus, des femmes levaient la tête à notre passage. C’est quoi ces gringas dans un pickup ? Beaucoup de bananiers et de rizières.
Tour dans la plantation
À la hacienda même, nous avons été accueillis par Alberto. Un petit tour aux toilettes et une petite frayeur pour Élisabeth : il y avait une chauve-souris dans la sienne ! Puis Alberto nous a emmenés dans la plantation. Nous avons d’abord appris les différences entre le cacao amarillo, ou aroma fino, dont les cabosses sont jaunes, et le cacao 51, dont les cabosses sont rose foncé avec des nuances de jaune.
Les cabosses (mazorcas en espagnol) sont énormes ; les fleurs toutes minuscules. Les arbres ont en même temps des fleurs et des fruits à tous les stades : boutons, fleurs épanouies, mini cabosses et puis toutes les tailles jusqu’à la cabosse mûre. Donc on peut récolter le cacao toute l’année. Quelle merveille, cette plante ! Il faut trois mois pour passer de la fleur à la cabosse mûre. En moyenne. Et un arbre peut porter de 20 à 30 cabosses en même temps.
Les ennemis des cabosses ? Les écureuils, qui les grignotent. Et les malins pics, qui font un trou dedans pour attirer les insectes… et les manger !
Après les cacaoyers, nous avons découvert plein d’autres arbres et de plantes qui poussaient parmi eux. Alberto nous a expliqué leur importance : leurs fruits tombés au sol attirent les insectes pollinisateurs.
Nous avons vu un énorme arbre de toronjas, de pamplemousses. Alberto en a pelé et découpé un en morceaux. Succulent ! Beaucoup moins acide que les pamplemousses de chez nous, et incroyablement juteux ! Un peu plus loin, nous avons appris la différence entre un arbre de banano (le bananier) et un arbre de platano (banane plantain) : le premier a les feuilles plus larges et courtes ; le deuxième les feuilles plus étroites et longues.
Nous avons aussi retrouvé l’arbre d’achiote que nous avions vu dans la jungle au Pérou : cet arbre dont les fruits contiennent des graines qui donnent un pigment rouge. C’est avec ce pigment, entre autres, que les peuples autochtones se peignaient le visage, le corps et même les cheveux. Aujourd’hui, il est utilisé en cuisine pour donner de la couleur au riz par exemple.
Plus loin, nous avons découvert la plante de gingembre ! C’est une sorte d’herbe. Alberto a déterré un petit bout de racine pour nous faire deviner à l’odeur quelle plante c’était.
Il y avait aussi une orchidée très spéciale qui grimpait sur un poteau en bois. La seule orchidée à porter des fruits : des sortes de haricots verts. « Qu’est-ce que c’est ? » nous a demandé Alberto. Euuuhm… Il nous a montré des haricots plus secs, bruns. De la vanille ! On comprend que cet ingrédient précieux soit si cher (de 350 à 500 € le kilo !) quand on sait que la fleur de cette orchidée ne dure qu’un seul jour et qu’elle ne peut être pollinisée que pendant la matinée de ce seul jour. Le fruit doit maturer pendant quatre mois sur la plante avant d’être cueilli. Après, il faut le faire sécher au soleil trois heures par jour pendant six mois ! Pas plus que trois heures par jour, sinon l’arôme s’en trouverait altéré. Plus le séchage est lent, plus l’arôme sera bon et le produit sera cher.
Quelques mètres plus loin, une autre plante grimpante s’était accrochée à un cacaoyer. Ses fruits : des grappes de toutes petites boules vertes. Alberto réitère sa question : « Et ça, qu’est-ce que c’est ? » Sais pas. Il nous suggère de prendre une petite boule et de mordre très légèrement dedans. Du poivre ! Du poivre noir ! Les graines sont vertes au départ, deviennent rouges quand elles mûrissent et deviennent noires quand on les fait sécher. Sèches, elles ont beaucoup plus d’arôme que vertes. On en aura vu des plantes savoureuses dans cette propriété ! Comme je disais à Alberto, j’veux les mêmes à la maison !
Il y avait également un grand avocatier. Très grand. C’est un de mes fruits préférés. Ah, si je pouvais en avoir un comme ça à Braine ! Ce serait mon préféré.
Et le chocolat alors ?
Après la visite de la plantation, nous nous sommes rassemblés autour d’un plan de travail pour qu’Alberto nous explique comment on fait du chocolaaaaat ! Youpiiiie !!!
– Quand les cabosses sont mûres, on les cueille, on les ouvre et on récolte des graines / les fêves fraîches.
– On fait fermenter les fèves avec leur plupe dans un sac en plastique fermé pendant deux jours. C’est l’une des étapes que les fabricants de chocolat de moindre qualité oublient pour gagner du temps : du chocolat 100% pour lequel on a omis cette étape sera beaucoup plus amer qu’un chocolat 100% qui a bien fermenté.
– Après la fermentation, il y a une période de séchage des fèves. De cinq à dix jours, en fonction du soleil.
– Puis on sépare les fèves plus grandes des plus petites car lors de la torréfaction, les grandes risqueraient de ne pas être assez cuites ou les petites trop cuites.
– On met les fèves dans un récipient (ici un bol en terre cuite) et on les torréfie sur un feu. Torréfier, c’est juste les faire chauffer ou griller sans aucune matière grasse. On les remue sans arrêt avec une cuillère en bois pour qu’elles ne brûlent pas. C’est ce qu’on fait chez nous avec les pignons de pin ou les amandes par exemple.
– On arrête le feu lorsque les fèves commencent à « péter » : quand la peau se sépare de la graine, ça fait un bruit comme le pop corn quand il est prêt. Mais les fèves de cacao n’explosent pas. La torréfaction (tostar en espagnol) active le beurre de cacao, qui fait briller les fèves ayant perdu leur peau.
– On retire les fèves du bol et on les étale sur le plan de travail. Après les avoir laissées refroidir un peu, on les pèle : on enlève la peau qui a cuit et qui est toute dure.
– Une fois les fèves pelées, on les passe dans un moulin pour les écraser et obtenir de la pâte de cacao. On dirait presque un tour de magie : on met dans le moulin des fèves sèches et il en sort… une pâte bien grasse ! On dirait du choco. Sauf qu’elle est un peu grumeleuse. Elle dégage une odeur absolument délicieuse ! Celle des moelleux au chocolat qui sortent tout juste du four. Et c’est bon !!! Mais ça manque un peu de sucre selon nos filles.
– Si on veut utiliser la pâte de cacao pour faire du chocolat, il faut la raffiner, car elle est grumeleuse.
– Si on la laisse à l’air, elle durcit très vite et devient aussi dure qu’une tablette de chocolat.
– Après vient encore une étape que nous n’avons pas faite : séparer le beurre de cacao de la poudre. Cela se fait dans une presse hydraulique : le beurre va en haut et la poudre tombe, quasi sèche.
Petite info sympa : les autochtones, avant la venue des espagnols, ne grillaient pas les fèves de cacao. Ils les faisaient sécher puis les écrasaient très finement. Avec la poudre, ils faisaient une boisson à laquelle ils ajoutaient du piment.
Histoire de goûts
Les graines de cacao (les fèves) remplissent toute la cabosse. Elles sont entourées d’une fine pulpe blanche. Ce sont de parfaits caramels naturels, comme dit Alberto : on détache une graine et on la suce. Le goût est en même temps très frais, sucré et acidulé. Puis on jette la graine. Ou on la fait sécher pour faire du cacao. Élisabeth était tellement enthousiaste de ces caramels naturels qu’Alberto lui en a donné toute une cabosse pleine !
On peut aussi faire du jus de cacao ! On enferme les fèves entourées de leur pulpe dans un sac, qu’on presse pour en extraire le jus. Nous avons goûté, c’est succulent, frais et acidulé. Et encore meilleur avec un peu de liqueur de canne à sucre !
Nous avons aussi goûté les fèves séchées : ce n’est pas amer comme je m’y attendais.
Les fèves torréfiées ont un goût différent des fèves juste séchées. Toujours très bon. Et pas amer.
Après avoir obtenu notre pâte de cacao, nous en avons fait du chocolat chaud ! Sans lait, mais tout aussi onctueux ! Alberto a fait chauffer de l’eau dans une casserole et y a ajouté la pâte de cacao, de la panela (une sorte de sucre) et un peu de hierba Luisa. Il a fait chauffer longtemps, en tournant tout le temps et… vous savez quoi ? Le cacao, ça mousse et ça déborde quand ça bout, comme le lait !
Chose intéressante : pas besoin de lait quand on fait du chocolat chaud avec de la pâte de cacao, puisqu’on a encore toute la graisse du beurre de cacao pour l’onctuosité. Quand on fait du chocolat chaud avec de la poudre de cacao par contre, on ajoute du lait pour retrouver une onctuosité.
Nos propres tablettes !
Après avoir dégusté le chocolat chaud, nous avons accompagné Alberto à la cuisine pour faire nos propres tablettes de chocolat ! Le chocolat fondu était déjà prêt à température précise (55°C) dans un mélangeur. Les ingrédients de ce chocolat ? De la pâte de cacao, du sucre, du lait et du beurre de cacao.
J’ai appris une chose toute nouvelle : si on essaye de mouler du chocolat encore trop chaud, il colle au moule et ne durcit pas. Il faut donc commencer par le refroidir. La cuisine dans laquelle nous étions était climatisée. Alberto a versé le chocolat liquide sur le plan de travail en marbre pour le faire refroidir plus vite. Il l’a travaillé avec deux spatules en métal, c’était trop chouette à voir ! Il fallait que le chocolat descende jusque entre 32°C et 28°C. C’est précis ! Alberto a vérifié avec un thermomètre.
Il a remis le chocolat dans un bol avec ses spatules puis l’a versé dans un moule. Un petit tour au surgélateur et hop ! Les six tablettes étaient prêtes pour notre déco perso à chacun•e ! Noix, morceaux de fèves de cacao, vermicelles en sucre pour les enfants ou pétales de rose pour les romantiques comme moi 🙂
Le vrai bon chocolat fond moins vite
Il y a un monde de différence, on en a déjà tous fait l’expérience, entre le vrai bon chocolat de qualité et celui qui est produit par l’industrie agroalimentaire.
Un autre avantage du chocolat de qualité, c’est qu’il fond moins vite ! Le beurre de cacao fond entre 29°C et 30°C. Dans les chocolats de moindre qualité, il est remplacé par de l’huile de palme, de tournesol ou de soja, qui fondent entre 22°C et 23°C.
Je parie…
Que si vous avez lu cet article jusqu’au bout, vous avez maintenant envie d’un bout de chocolat, au moins un. Moi aussi ! Mais j’ai déjà brossé mes dents et j’ai la flemme de le faire deux fois. Ce sera pour demain ! Quoi qu’il en soit, après cette magnifique journée pleine de découvertes gustatives et olfactives, je ne mangerai plus jamais du chocolat de la même manière !