Nous n’y sommes même pas depuis une semaine, mais je crois que, sans avoir trop peur de nous tromper, nous pouvons déjà dire, Nico et moi, que nous sommes en train tomber amoureux de la Colombie !
Après Medellín la survivante, la colorée, la joyeuse, nous voici à Jardín, un gros village merveilleux. Pour celles et ceux qui ont vu le film d’animation Encanto (que nous vous conseillons très vivement !), c’est tout à fait ça : des collines vertes à la végétation tropicale, des plantations de bananiers et de café, des maisons colorées, des gens super chaleureux, une place centrale qui ne désemplit pas, des oiseaux sortis tout droit d’un conte de fées, des hommes de tous âges, très élégants avec leurs chapeaux et leurs chemises. Les gens d’ici se déplacent soit à cheval, soit en moto, soit en Jeep. On se croirait dans un autre monde.
Aujourd’hui, nous sommes allés visiter la finca cafetera (la plantation de café) Carrizales à une demi-heure de Jeep de Jardín, à 2000 m d’altitude. Nous étions super excités à l’idée de découvrir comment pousse le café. À l’entrée de la propriété, nous avons été accueillis par Jaime, (prononcez « Chaïmé », avec un ch comme en Néerlandais), le propriétaire : la soixantaine, à l’humour franc et pince sans rire, mais avec un cœur en or et un magnifique chapeau. Le genre de personnes qu’on aime tout de suite.
Une dame nous a conduits en Jeep de Jardín à la finca, enfin, presque, car à un kilomètre environ du but, un grand pan de colline s’était écroulé sur la route et formait un gros tas de boue et de branches mélangées. Il y a eu un très gros orage avec énormément de pluie la nuit passée. Il a plu tellement fort que la pluie entrait dans la maison que nous louons. Pas grave, ce matin tout était sec, comme si rien ne s’était passé. Je vous dis, ce pays est magique. Devant le glissement de terrain, nous sommes descendus de la Jeep et avons continué à pied, après avoir aidé un monsieur à porter sa moto à travers l’amas de boue. Je ne vous dis pas l’état de nos chaussures après ! C’était fantastique.
Quand Jaime nous a accueillis à l’entrée de sa propriété, du côté de la plantation de bananes et de fruits de la passion, une question me brûlait les lèvres : pourquoi les grappes de bananes, encore sur les arbres, sont-elles emballées dans des sacs en plastique bleus ? Jaime m’a montré entre les branches une grappe sans sac en plastique, au loin. « Tu vois celle-là ? Elle est pour moi. Les autres (celles avec les sacs plastique) sont pour la vente. Il faut que les bananes soient parfaites et brillantes, sinon les magasins n’en veulent pas. Il ne peut pas y avoir d’insectes dessus et les oiseaux ne peuvent pas les avoir picorées. Donc il y a du poison dans les sacs. » Et tac. Bon appétit.
Pour commencer notre visite, Jaime nous a emmenés sur le toit plat de l’un des bâtiments de la finca, où des grains de café beiges séchaient au soleil. Sauf qu’il n’y avait pas de soleil ce matin-là. Quand ils sont suffisamment secs, on peut en prendre une poignée en main, frotter vigoureusement les deux paumes l’une contre l’autre pour séparer la peau de l’amande à l’intérieur. Puis on souffle pour faire s’envoler les peaux. L’amande, celle que nous appelons le « grain de café », est gris-vert avant d’être torréfiée (grillée sans addition de matière grasse). Il y a un grand four à torréfaction à Jardín, où toutes les fincas du coin peuvent aller torréfier leur café. C’est nouveau ici de le vendre torréfié. Normalement, ils le vendent en grains séchés avec la peau (pergamino). Le café d’ici est torréfié en 12 minutes, de l’amande verte au grain de café que nous connaissons. 12 minutes, c’est précis !
Jaime nous a expliqué qu’en fonction de l’ensoleillement, il fait sécher le café différemment. Quand il y a grand soleil, il peut faire sécher les cerises de café en tant que telles, avec toute la pulpe autour des grains. Quand il y a moins de soleil, il enlève la pulpe à la machine puis fait sécher les grains. Et lorsqu’il y a encore moins de soleil, il fait fermenter les grains après avoir enlevé la pulpe, puis il les lave avant de les faire sécher. Normalement, à cette saison-ci, en juin, juillet et août, il y a beaucoup de soleil. Mais avec les perturbations climatiques, la culture du café devient difficile : il peut pleuvoir n’importe quand et il n’y a plus vraiment de grosse différence entre les saisons. (Tiens tiens, j’ai déjà entendu ça quelque part !) C’est pourquoi le café devient de plus en plus cher.
Puis nous sommes allés nous préparer un bon café. Obligatoire pour bien commencer une journée dans une finca cafetera. Sur le chemin vers la petite cuisine « spéciale café », nous avons été émerveillés et absorbés par les oiseaux voletant par-ci par-là dans le jardin. Des bleus, des jaune vif et noir, des colibris verts émeraude, des orange, gris et vert… Le ballet ne cessait pas. Jaime les connaît tous et semblait content qu’on s’y intéresse. Il nous a proposé de venir prendre le petit déjeuner ici demain matin tôt, car c’est à l’aube qu’on peut observer le plus d’oiseaux.
Dans sa cuisine, Jaime possède à peu près tous les ustensiles imaginables pour faire du café, de la grosse machine à expresso hyper moderne, en passant par toutes sortes de cafetières italiennes, jusqu’à la méthode la plus simple et traditionnelle, sa préférée : un support en bois troué dans le haut dans lequel on coince un filtre en tissu. Dans le support en bois, sous le filtre, on pose tout simplement sa tasse.
Et de nous expliquer : c’est très important de moudre juste la quantité de grains de café dont on a besoin pour boire. Car après une heure à l’air, le café moulu a déjà perdu une bonne partie de son arôme. Ah… J’ai osé lui avouer qu’en Belgique, jusqu’à maintenant, nous n’achetions que du café moulu. Mais cela va changer !
Autre chose très importante : selon la méthode de préparation du café, on doit le moudre différemment, plus ou moins finement ! Jaime possède un petit moulin électrique qui lui permet de choisir la finesse.
Pour que Jaime prépare nos tasses de café, j’ai choisi une jolie cafetière en verre, ayant plus ou moins la forme et la taille d’un diabolo. Ou d’un sablier. Avant de commencer à préparer le café, on ébouillante la cafetière pour la laver et la désinfecter. Trèèès important : surtout ne pas la laver au savon !!! On met un filtre dans le haut, le café dans le filtre, et on verse de l’eau à 90°C (pas plus !) sur le café, petit à petit. Jaime nous a fait remarquer : quand on verse l’eau, le café frais réagit en faisant une sorte de mousse brun clair. Ce que le café moulu à l’avance ne fait pas. Dès que le niveau d’eau dans le filtre baissait, Jaime en rajoutait en versant de bien haut.
Pendant que le café coulait, il a sorti six petites tasses arrondies et les a posées sur un plateau. Boire du café : une grande première pour nos filles ! Jaime n’en revenait pas qu’aucune d’elles n’ait jamais bu de café ! Il nous a regardé avec de grands yeux, en riant : « J’ai un petit-fils qui a cinq ans. Il boit du café depuis qu’il a trois ans ! » Il a aussi sorti un pot de panela, le sucre d’ici, en ajoutant : « Moi, j’aime bien mon café légèrement sucré. Les filles peuvent en mettre plus. »
Du lait ? Entre nous, je crois que c’est un crime d’en mettre dans son café ici. Il était vraiment bon ! Même Nico, qui en Belgique n’aime pas le café, a apprécié. Lulu et Margaux aussi, avec beaucoup de sucre. Éline… non, ce n’est pas son truc.
Tout en sirotant notre café, Jaime nous a expliqué que grâce à la pandémie, le café est passé de la place de troisième boisson mondiale à deuxième. La première étant l’eau et l’actuelle troisième le thé.
Après, nous sommes allés derrière la maison voir comment pousse une plante de café. On met la graine de café toute fraîche, beige et gluante, en terre, dans un grand bac. En trois mois, elle devient une petite plante à deux feuilles, qu’on repique dans un petit sachet en plastique plein de terre. Là, on la laisse grandir pendant sept mois environ. Elle fait deux feuilles de plus chaque mois. Puis on la replante en pleine terre. Deux ans plus tard, elle commencera à donner du café. Quelle gestion, une plantation de café, entre la plantation de jeunes pousses, la taille des plants plus grands, le « rafraîchissement » en taillant les vieilles plantes jusqu’à la souche (tous les huit ans), la récolte des grains de café, le séchage, puis la plantation de toutes sortes d’autres plantes entre les plants de café encore jeunes : bananiers, haricots (habas), narangille. En plus du café, Jaime et son épouse vendent des bananes et font pousser des tas d’autres plantes pour leur consommation personnelle : canne à sucre, maïs, framboises et tout un potager. Ils ont des ruches, des poules et une vache à lait toute petite et mignonne.
Les plants de café ont de jolies petites fleurs blanches qui sentent très bon. Entre le bouton de fleur (el puyo) et la cerise de café mûre s’écoulent neuf mois. Dans cette région-ci, car cela varie selon l’altitude et l’ensoleillement. On récolte le café toute l’année, avec des pics à certaines périodes.
Nous sommes descendus dans la plantation avec chacun·e un petit panier pour la récolte des cerises. On cueille les cerises rouges (ou jaunes pour certaines variétés de café) ; on laisse les vertes. En une petite demi-heure, Jaime avait rempli son panier. Et nous avions à peu près la même quantité… à cinq ! Le café qui pousse ici, ce sont trois variétés d’arabica : du bourbon, du caturro et du typica. Nous sommes remontés à la maison en faisant un petit détour par les ruches. Les abeilles sont très importantes pour la pollinisation des caféiers.
Par an, un caféier (l’arbre) produit environ 2,5 kg de cerises de café, soit 500 g de pergamino, les grains séchés avec leur peau. 90% de la production de la région se vend sous forme de pergamino à la fédération nationale.
De retour en haut de la colline, Jaime nous a montré sa « machine à enlever la pulpe des cerises de café pour ne garder que les grains ». On verse les cerises dans un énorme entonnoir et elles ressortent dans un tamis sans leur pulpe. Tamis qui les secouent pour faire tomber les grains « purs » par les mailles et garder les éventuels restes de pulpe. Après, Jaime laisse fermenter les grains entre 20 et 30h dans la cuve dans laquelle ils sont tombés, puis il les lave dans la cuve d’à côté et les fait sécher sur le toit que nous avons vu. Toit qui peut se couvrir avec un deuxième toit sur roues quand il pleut !
Un peu plus tard, nous avons pu nous installer dans le mirador donnant sur la vallée environnante. Veronica, la fille de Jaime, nous a apporté des petits beignets qu’Ismelda a faits pour nous. Une sorte au fromage, une autre au poulet, une autre à la viande de bœuf et une dernière au maïs doux. Un régal ! Tout cela accompagné de jus de maracuyá et de gulupa frais. Entourés d’oiseaux. Et de gens super accueillants. Un petit garçon colombo-américain de sept ans, qui loge avec sa famille dans le gîte de la plantation, est arrivé, tout décidé, avec un plateau de jeu des petits chevaux, pour jouer avec nos filles.
Avant de repartir à Jardín avec un charmant chauffeur, nous avons pris le temps d’un dernier café. « Comment allons-nous le préparer ? » m’a demandé Jaime. J’ai répondu : « Différemment, tu peux choisir. » Il a sorti un alambic venant tout droit d’un labo de chimie ! Inventé par des japonais, pas étonnant. Voyez la photo en bas. Perso, je n’ai pas compris comment ça fonctionne. Mais le café était très bon ! Tout en le buvant, Jaime nous a parlé d’un autre système japonais qu’il avait essayé, mais pas acheté car c’est terriblement cher. C’est comme une sorte de tour à plusieurs étages, dans laquelle on met de la glace et du café, puis il se passe je ne sais quoi, et après 20 heures (!!!), on a un succulent café froid. Il faut penser à le préparer 20 heures à l’avance ! Ils sont fous ces japonais !