Ou comment nous avons passé une journée complètement schief.
Tout a commencé la nuit passée, quand à minuit (presque) pile, Lulu est venue frapper à notre porte. « Depuis le début de la nuit, je n’arrive pas à dormir. Pourtant je n’ai pas soif et je ne dois pas aller aux toilettes… Je me sens bizarre. » Je l’ai accompagnée dans sa chambre et me suis assise au bord de son lit. Des caresses sur sa tête et sur ses bras, ça l’aide bien à s’endormir en général. Sauf que là non. Puis à un moment, sans qu’elle ait le temps de se rendre compte de ce qu’il se passait, elle a vomi. Tout son souper, plus son goûter et son repas de midi, me semblait-il. Ma pauvre choupinette !
Aujourd’hui, nous avions prévu d’aller visiter les Islas del Rosario et la Playa Tranquila sur la Isla Barú. Nico et moi avions hésité longtemps à cause du prix élevé du tour et de l’appréhension de se retrouver là-bas avec des tonnes d’autres touristes. Mais après vérification, ce n’est pas la haute saison actuellement. Et jusqu’ici, la toute grande majorité des tours organisés auxquels nous avons participé se sont très bien passés. Autre bonne raison d’y aller : nous sommes ici dans les Caraïbes et nous avions envie de voir les plages blanches aux eaux turquoises ! Et de nager dedans !
Lulu n’était toujours pas bien ce matin. Nico, qui se sentait fatigué, a décidé de rester avec elle. Je suis donc partie avec Éline et Margaux. Avant de prendre un taxi pour le muelle turístico, le port touristique, j’ai acheté deux bouteilles d’eau à 2000 pesos (0,44€) chacune, puis nous sommes montées dans un taxi. En arrivant au port, j’ai évidemment oublié les bouteilles, que j’avais déposées à mes pieds, dans le taxi. La journée commençait bien ! Je suis allée directement au guichet pour signaler que nous étions là et pour demander s’il était possible de se faire rembourser les billets de Lucie et Nico. Non. Évidemment, je m’en doutais ! J’ai insisté. Rien à faire. J’ai racheté deux bouteilles d’eau à 5000 pesos chacune. Quand j’ai dit à la vendeuse que c’était du vol, elle m’a répondu que sur les îles, elles coûtent 10 000 pesos pièce. Soit. De toute façon, je n’avais pas le choix.
Le port touristique était noir de monde. Ou plutôt : noir de pigeons et de pigeonnes qui ont acheté des tours bien chers, surexcité-e-s à l’idée de nourrir leur fil Instagram de photos superbes. J’en faisais partie, sauf en ce qui concerne Instagram. Des gens entassés partout, des tour operateurs, liste de passagers à la main, qui criaient des noms. J’ai demandé au garde qui vérifiait les billets : où devons-nous attendre pour Delfines Tours ? Sous la deuxième tonnelle. Des gens embarquaient dans des bateaux sans arrêt, les bateaux partaient, de nouveaux arrivaient. On aurait dit que tout Carthagène partait voir les îles aujourd’hui ! Rien n’était organisé, rien n’était indiqué. Après une vingtaine de minutes d’attente, j’ai demandé à quelques personnes autour de moi s’ils/elles partaient avec Delfines Tours. Non ? Ah… Je suis allée voir la dame avec le t-shirt orange et blanc du tour operateur. « Je t’appellerai quand ce sera ton tour, mi amor, » m’a-t-elle répondu. Bon…
Encore une dizaine de minutes plus tard, Éline me dit : « Hé, maman ! La dame s’en va par là ! » En effet, elle se dirigeait vers une autre partie du port, suivie par une grappe de touristes. On a décidé de la suivre aussi. Et on a bien fait ! Après avoir quasi rempli un nouveau bateau, elle nous a dit que nous pouvions monter dedans. Ah ? Et vous auriez fait comment, madame, si nous ne vous avions pas suivie jusqu’ici ?
Nous voilà enfin parties, avec quasi 40 minutes de retard. Soit. Les retards, ça arrive.
L’accompagnateur du bateau était rigolo. Faut dire aussi ce qu’il y avait de positif ! Mais les 30 minutes de navigation pour arriver aux îles étaient franchement inconfortables. Notre capitaine semblait faire la course avec son ombre. Il prenait les vagues de front, ce qui fait que nous décollions et retombions sur l’eau avec de gros coups comme si nous heurtions quelque rocher. Ca tapait tellement fort que je me suis demandé comment la coque tenait. Et on allait tellement vite que Margaux m’a dit : « On dirait qu’on s’en va vite pour échapper à une guerre. » « Ne t’inquiète pas ma chérie, il n’y a pas de guerre ! » « Mais je sais hein, c’était une blague ! »
C’est vrai que les Islas del Rosario sont superbes. Comme on imagine les Caraïbes. Il y en a 27 en tout. Dont 20 sont privées et seulement 7 appartiennent à l’État ! On a vu celle qui appartient à Shakira, enfin, c’est ce qu’a dit le guide, mais il pourrait inventer n’importe quoi. Et une de celles qui appartiennent à l’État a appartenu à Pablo Escobar.
Le guide nous a expliqué que nous allions avoir le choix entre deux activités, non comprises dans le prix du tour, évidemment : soit faire du snorkeling pour voir les poissons tropicaux, soit aller voir un aquarium sur l’île d’à côté. À ma grande frustration, les filles préféraient nettement aller voir l’aquarium. Embarcadère bondé. Des dizaines, des centaines de touristes. Entre nous, ça ne devait pas être mieux pour les gens qui ont choisi le snorkeling. Leur île était encore plus petite et ils semblaient encore plus nombreux. J’avais mal au cœur pour la vie sauvage à ces endroits.
Nous avions seulement 30 minutes à l’aquarium avant le rendez-vous avec le bateau pour la suite du tour. 30 minutes ! N’importe quoi. L’aquarium était nul. Juste de quoi dire qu’on donne une miette aux touristes pour qu’ils ne se plaignent pas. Les aquariums chez Tom & Co à Braine l’Alleud sont plus jolis et plus colorés, c’est dire ! Puis il y avait des dauphins, que j’ai refusé d’aller voir. Après les superbes animaux que nous avons observés en liberté ces derniers mois, je ne peux pas supporter de les voir enfermés. Il y avait de magnifiques tortues marines dans des bassins ridiculement petits.
De retour à l’embarcadère, nous avons attendu le bateau 40 minutes en plein soleil. Ils nous prennent vraiment pour des idiots… J’étais furieuse d’être tombée dans ce piège à touristes. Le bateau nous a enfin repris pour aller manger le repas de midi à la Playa Tranquila sur la Isla Barú. Cette grande île ne fait pas partie des Islas del Rosario. Avant que les Espagnols ne creusent un canal, elle était même rattachée au continent. Jolie plage blanche, superbe eau turquoise. Beaucoup de touristes, mais ça va encore. On a attendu 1h pour que notre repas soit servi. Ce qui ne nous a laissé qu’1h30 pour nager. J’ai loué deux chaises longues et un parasol pour que nous soyons à l’abri du soleil. L’eau était super agréable. Fraîche par rapport à l’air, mais pas froide du tout. Et d’une transparence incroyable ! Comme au Mexique près de Cancun. Même quelqu’un qui n’aimerait pas l’eau ne résisterait pas à aller dedans.
L’heure et demie est passée super vite. Je suis allée payer les chaises longues. Le monsieur m’a dit d’attendre un moment : son collègue qui avait l’appareil permettant de payer par carte allait arriver. J’ai payé. Ca n’a pas marché. Il m’a demandé de réessayer, en vitesse parce que les gens commençaient déjà à monter dans le bateau. J’ai dit, oui mais non ! Vous n’allez pas me faire payer deux fois ! Je vais payer en cash, le bateau part. « Non non, ça fonctionne maintenant, regardez ! » Vite vite. J’ai refait mon code, en me disant que c’était louche. J’ai refusé de donner la propina (pourboire) qu’ils me demandaient. Non mais !
Le retour au port de Carthagène a été le trajet en bateau le plus désagréable du voyage et même de ma vie. On aurait carrément dit que le capitaine essayait d’échapper à une guerre nucléaire ! Il prenait les vagues de face à une telle vitesse que les chocs nous donnaient mal à la tête à cause de notre cerveau qui cognait notre crâne. Et je n’ose pas imaginer si j’avais eu des problèmes de dos. Ca a duré 30 minutes. Éline a eu les larmes aux yeux : « Maman, j’ai peur ! » Je lui ai dit de ne pas s’en faire. Margaux, qui au début rigolait à chaque saut du bateau, s’est recroquevillée dans mes bras et n’a plus rien dit.
Ce tour est vraiment une arnaque du début à la fin ! Je ne comprends pas comment ils peuvent tromper autant de touristes et continuer à le faire !
De retour au port, j’étais déterminée à récupérer la valeur des billets de Nico et Lucie. Je suis allée revoir la dame au guichet. Je lui ai dit que le tour avait été une catastrophe organisationnelle. Et que c’était du vol de faire payer autant pour juste ça. Qu’au moins elle pouvait me rembourser les deux places que nous n’avons pas utilisées. Rien à faire, elle n’en démordait pas : elle prétendait que deux places étaient vides dans le bateau et qu’eux, ça leur coûtait. Je me suis fâchée : le bateau était plein à craquer ! Et ils emmènent des dizaines de touristes, ce n’est pas deux petites places qui feraient la différence. Pour abréger : j’ai fini par appeler le numéro de téléphone qui se trouvait sur les billets. J’ai tout réexpliqué à la dame qui a décroché, qui, elle, m’a dit qu’on allait me rembourser. Elle a appelé la dame au guichet, qui m’a remboursée. Ouf !
Mais… la journée schief était loin d’être finie ! Au moment exact où elle était en train de me rembourser, j’ai vu sur mon téléphone des messages de Nico : « C’est toi qui viens de payer 1 800 000 Cop avec la carte ??? Y a un problème ? On te l’a piquée ? » J’ai compris tout de suite. Les gens des chaises longues ! Je m’en étais doutée, les sal…s ! J’ai appelé Nico. Tout de suite, il a bloqué la carte. 1 800 000 Cop, ça fait 412€ quand même ! J’étais furieuse et dégoûtée de m’être fait avoir ! Ils ont même essayé, une première fois, de retirer 870€, mais heureusement, Nico avait mis une limite sur la carte !
La banque nous remboursera, probablement, mais ce qui est embêtant, c’est que c’est une transaction pour laquelle j’ai fait un code. Ce n’est pas aussi facile de nous faire rembourser que si on nous avait volé la carte. On a décidé de déposer plainte à la police. À l’accueil de l’hôtel, ils ont appelé la police pour nous. Moins de dix minutes plus tard, ils étaient là, deux policiers en moto. Je leur ai raconté ce qu’il s’est passé. Ils m’ont dit qu’ils allaient envoyer la police touristique, puis ils sont partis. Très vite, la police touristique est arrivée, deux policiers à vélo cette fois. Très sympas et aidants. Ils nous ont dit qu’on pouvait déposer plainte en ligne, mais que c’était mieux d’aller à la Fiscalía Nacional. Drôle de nom que je ne comprends toujours pas. On s’est dit que ce serait bien d’avoir une preuve de notre plainte pour la banque.
J’ai donc pris un taxi, 15 minutes de route environ. Arrivée à la Fiscalía, le garde ne m’a pas ouvert la grille. Il m’a demandé pourquoi je venais. Il a transmis par talkie walkie à ses collègues, qui n’ont pas daigné me recevoir. On ne dérange pas une administration à 18h passées ! Bon… OK… « Déposez plainte en ligne, » m’a-t-il conseillé. « Ou allez à la Manga Sijin. » C’est quoi encore ce nom bizarre ??? « Un commando policia. » Ah. Et ils sont encore ouverts, eux ? « Oui, ils sont ouverts 24h/24. » Où est-ce que je peux prendre un taxi ? « Prenez la première à gauche. Mais faites attention dans ce quartier. » Il faisait déjà noir.
Dix mètres plus loin, à travers la grille, une collègue policière du garde a décidé de m’accompagner, de son côté de la grille, pour me « protéger ». Arrivée au coin de la rue, ne pouvant aller plus loin, elle avise un monsieur qui traînait là et lui demande de m’accompagner jusqu’à un taxi. C’est bon, je pouvais me débrouiller seule ! Surtout que le monsieur en question m’a demandé si j’avais une cigarette. Non… Weed? Non plus… Cocaïne ? (avec un grand sourire) Tampoco. (non plus) La policière m’avait refilé un des délinquants du coin. Pas méchant. Folklorique. Il me faisait rire avec ses questions décalées. Il m’a accompagnée sur 50 mètres à peine, mais n’a pas oublié de demander sa propina (pourboire) avant que je monte dans le taxi. Et de réclamer plus. « Ciera la puerta ! » (ferme la porte) lui a dit le taximan très sèchement.
Encore 15 minutes de taxi. Arrivée à Manga Sijin. Un monsieur qui s’ennuie derrière son comptoir. « Vous venez pourquoi ? » Bla bla bla. « Vous devez déposer plainte en ligne. » Et moi de lui expliquer les policiers n° 1, puis les policiers n° 2, qui m’ont dit d’aller à la Fiscalia, puis la Fiscalia, qui m’a dit de venir ici. Rien à cirer. Sans dire un mot, il a pris un papier et m’a écrit dessus le lien vers le site où déposer plainte en ligne. Bon, ok. Taxi retour hôtel. Heureusement, les chauffeurs de taxi, eux, sont souvent sympas. J’étais crevée et j’en avais marre.
On a essayé, ce soir, de déposer plainte en ligne. Après 4 étapes, le site se bloque car, dit-il, il n’arrive pas à se mettre en contact avec Migración, l’instance qui s’occupe des étrangers. Bravo la Colombie ! Joli système bien rôdé !
Belle journée schief, n’est-ce pas ? Il fallait bien en pondre une comme ça. Un an de voyage sans arnaque aucune, ça n’aurait pas été crédible !
J’ai appris trois choses importantes sur moi-même, aussi :
- je déteste faire partie d’un troupeau. Surtout d’un troupeau de pigeons qui se font avoir.
- je préfère de loin, de très loin être seule ou avec juste quelques humains proches ou sympas.
- mon indépendance est un trésor à chérir.